Interview de Marc Levi, Psychanalyste thérapeute
Soyez dans le doute tout le temps, ayez le moins de certitudes possibles et prenez soin de vous
Marc Levi, Psychanalyste thérapeute spécialisé en prévention du suicide, Coach certifié, membre de l'ICF (Institute Coaching Fédération) et membre de la société française de neurosciences
Racontez-nous votre parcours ? Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
J’avais 11 ans quand j’ai su que je voulais faire ce métier et cette envie ne m’a pas lâché jusqu’à ce que je puisse débuter mes études. Depuis mon enfance, une grande partie de mes réflexions est tournée vers l’autre.
Depuis quand travaillez-vous avec iQera ?
Je travaille avec iQera depuis environ 4 ans. Cette rencontre s’est faite via votre Directrice des Ressources Humaines avec qui j’ai déjà collaboré par le passé. Elle m’a emmené vers de nouveaux horizons, en l’occurrence iQera.
Comment se déroule une journée type ?
C’est très différent d’une journée à l’autre. Cela varie entre les conférences, les formations et la consultation. Mais aussi les webinaires, la gestion de crise, les urgences qui peuvent tomber...
En quoi consiste votre métier ?
Au-delà de l’accompagnement thérapeutique et psychologique des salariés ou des patients, j’ai une spécialité en tant qu’ancien Président de SOS suicide pour la France, qui est la problématique suicidaire. En amont de cette étape ultime, il y a une pluri prise en charge qui est extrêmement variée : couples, salariés en souffrance, personnes qui sont perdues et se remettent en question.
J’ai également une formation pour être coach en entreprise. En effet, il y a quelques années, juste avant le COVID, intervenir en tant que professionnel de la santé mentale dans les entreprises n’était pas habituel. Un coach pouvait entrer sans problème pour transmettre des conseils avisés, mais les professionnels de la santé mentale n’étaient pas très bien vus. Cette tendance s’est totalement inversée avec la crise sanitaire. Depuis, nous sommes les bienvenus et sommes même fortement sollicités.
J’ai organisé deux congrès à l’UNESCO, il y a 25 ans, sur les états de mal-être au travail. À l’époque, les psychologues recevaient des salariés en souffrance, cela va de soi, mais pour intervenir en entreprise c’était compliqué. Alors qu’aujourd’hui des portes se sont ouvertes, grâce notamment à une série qui s’appelle « En thérapie » où l’on voit bien le psychanalyste qui accueille des salariés. Le cabinet s’ouvre.
Il y a également de plus en plus de reportages à ce sujet et évidemment cela démystifie le professionnel de la santé mentale.
Est-ce que vous avez pu constater un avant/après, une évolution en termes de typologie de patients accueillis ?
Il y a un véritable avant / après qui est antérieur à la crise. Nous avions beaucoup de patients, il y a 25 ou 30 ans qui étaient en grande souffrance psychologique voir psychiatrique et aujourd’hui, nous recevons des profils beaucoup plus variés.
De plus, il y avait 80% de femmes et 20% d’hommes, contre 50% de chaque aujourd’hui. En outre, les jeunes ne sont maintenant plus du tout réfractaires à la consultation. Je n’irais pas jusqu’à dire que la démarche s’est banalisée, mais aller voir un professionnel de la santé mentale, est désormais accepté sans difficulté. La société française a beaucoup évolué même si elle accuse un retard par rapport aux pays scandinaves ou au Canada qui ont 20 ans d’avance sur nous.
La psychologie du travail est résumée par l’étude des comportements de l’individu selon 3 axes : le travail, les ressources humaines et le personnel-organisation. Qu’en pensez-vous ?
C’est évidemment plus complexe.
Par exemple, si je devais faire un résumé de ce qui s’est passé avec la crise sanitaire, je trouve que la frontière entre la vie professionnelle et personnelle est devenue poreuse, ce qui est plutôt positif. Au Canada, cette frontière n’existe pas. Il y a un être humain avec toute sa complexité et les interactions sont constantes entre sa vie professionnelle et personnelle. Quand je le dis, cela semble évident et pourtant en France, on veut absolument cloisonner vie professionnelle et personnelle.
Je respecte cela, j’accompagne au maximum les salariés et les entreprises qui souhaitent maintenir cette séparation, mais je trouve que c’est une erreur. Si nous souhaitons humaniser la fonction, il va falloir que l’humain soit considéré avant celle-ci.
Il semblerait que le stress professionnel soit le sujet d’actualité, le mal du siècle. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas le mal du siècle, cela a toujours existé, sinon nous ne serions pas là pour échanger à ce sujet. C’est ce qui nous a permis et nous permet de rester en vie.
Il existe aujourd’hui des solutions pour l’accueillir, le comprendre, le maîtriser, s’en servir à bon escient et non pas le subir.
Nous pouvons considérer finalement que c’est une préoccupation actuelle et savons à quel point il a des impacts sur notre psyché. Il faut le comprendre et apprendre à le maîtriser, d’où les outils qui sont arrivés dernièrement : la mindfulness, la méditation…
C’est vrai en revanche, qu’avec la crise sanitaire, il y a un renforcement de l’anxiété puisque nous sommes passés de 7% à 8% de consultations habituellement pour des troubles anxieux ou des troubles anxiodépressifs à 30% aujourd’hui.
Quelles sont selon vous les clés du bien-être au travail ?
Nous y sommes. Je trouve que c’est intéressant et je vais vous répondre avec les 30 ans d’expérience que j’ai. Aujourd’hui, nous intervenons dans les COMEX. Les présidents des grandes entreprises nous convoquent pour comprendre ce qu’est une situation de mal-être, ce qu’est l’équilibre vie privée, vie professionnelle.
Il y a 30 ans, même dans les fantasmes les plus délirants, nous n’aurions pu imaginer pouvoir intervenir dans un COMEX, comme cela a pu être fait chez vous. Vous avez été d’ailleurs l’un des premiers COMEX à avoir organisé ce type d’intervention, et il y en a d’autres depuis qui suivent. Je trouve que c’est une révolution.
Nous ne sommes pas encore dans des solutions du bien-être parce qu’à ce niveau, il y a encore du chemin à parcourir, mais il y a une vraie prise en compte de l’individu, du salarié.
Etes-vous confronté à des difficultés particulières ? Et comment vous réussissez à y faire face ?
D’un point de vue individuel, c’est notre métier et nous ne pouvons pas considérer que ce soit difficile. En revanche, d’un point de vue de méta, c’est-à-dire sociétal, je pense qu’il n’y a pas assez de prévention. Nous n’en sommes qu’au début.
Si nous avons réussi à faire passer le taux de suicides de 16 000 personnes par an, il y a 20 ans, à 8 000 aujourd’hui, c’est grâce aux formations, programmes de prévention qui ont été menés partout dans les entreprises, les institutions, auprès des médecins…
La prévention reste le meilleur outil et il faudrait qu’elle soit utilisée tout le temps. C’est un peu comme l’assurance : nous la payons, mais nous ne savons pas si elle va nous servir.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre métier ?
La complexité de l’humain et cette capacité qu’il a, dès lors où il comprend et s’intéresse à lui, à passer du mal-être au mieux-être.
Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné ?
D’être dans le doute, tout le temps. Essayer d’avoir le moins de certitudes possibles est une vraie valeur.
Prendre soin de soi est également très important. Dans notre profession, si nous ne prenons pas soin de nous, nous allons avoir du mal à aider les autres.